Une étude récente de l’ODI (Overseas Developement Institute) propose une vision prospective du secteur de l’aide au développement en 2025[1]. Le visage de la pauvreté aura alors profondément changé :
- Elle sera concentrée essentiellement dans des pays touchés par des conflits ou fragiles (c’est-à-dire où l’État n’est pas en capacité de répondre aux attentes des populations, voire n’est pas considéré comme leur représentant légitime, selon la définition de l’OCDE),
- Elle aura diminué de deux-tiers en nombre absolu,
- Et sera concentrée en majorité en Afrique.
D’un
côté, les pays fragiles ont des perspectives de croissance économiques
peu encourageantes, doublées d’un taux de croissance démographique
excédant les 3%. D’un autre côté, alors que certains pays d’Asie, tels
que l’Inde, l’Indonésie ou le Vietnam, font face à des poches de
pauvreté encore nombreuses aujourd’hui, il semblerait que nous
assistions à une transition vers une réduction majeure de la pauvreté
dans ces pays (hypothèse basée sur l’évolution favorable des indicateurs
socio-économiques des pays).
Par
ailleurs, bien que les pays fragiles et touchés par les conflits ne se
situent pas tous en Afrique, il est à noter que l’évolution du nombre de
personnes pauvres (vivant avec moins de 2$ par jour) est alarmant sur
ce continent : en 1990 environ 15% des pauvres y vivaient, en 2012 ce
sont plus de 50%, et en 2025 ce seront probablement plus de 80% ! Cela,
alors que le niveau actuel de l’aide au développement globale destinée à
l’Afrique atteint le même niveau qu’en 1990 - en montant d’aide par
personne pauvre…
Parallèlement
à cette évolution des termes de la pauvreté, le secteur de l’aide au
développement connaît des mutations structurelles sans précédent.
Des coopérations Sud-Sud qui questionnent les équilibres établis
La coopération « Sud-Sud » en est un premier aspect. Invoquée lors de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide adoptée le 2 mars 2005 avec l’affirmation du principe « d’ownership »,
elle implique notamment que les pays dits en développement définissent
par eux-mêmes leurs stratégies de lutte contre la pauvreté. Réaffirmée
en 2008 lors du troisième Forum de haut niveau sur l’efficacité de
l’aide (qui a vu l’adoption de l’Accra Agenda for Action), elle est rendue possible par la structuration de la société civile et l’intégration régionale croissante dans les pays du Sud, contribuant ainsi à l’appropriation des enjeux de développement par les pays directement concernés.
L’implication croissante de nouveaux bailleurs dits émergents, renforce la place de la coopération Sud-Sud sur la scène internationale, comme le montre une étude de 2009 menée par le groupe URD.
Certes les pays tels que la Chine ou les Émirats Arabes Unis ont été
historiquement engagés dans des actions de développement, mais ces
actions étaient politiquement ou religieusement marquées et se
concentraient dans les pays limitrophes. Cette situation connaît un
certain bouleversement avec l’augmentation substantielle des montants
d’aide alloués et la création de structures étatiques pour l’aide
humanitaire au Brésil ou dans les pays du Golfe comme le Qatar, ce qui
laisse entrevoir leur volonté de s’intégrer dans le système international d’aide au développement.
Des
projections chiffrées viennent étayer ces arguments: aujourd’hui 2/3
des accords de libre-échange ont lieu entre des pays du Sud, en 2025 la
Chine sera la première économie mondiale, et en 2050 plus de 70 % des
exports de la Chine et 80% des exports de l’Inde iront vers des pays du
Sud. Il est ici sous-entendu que l’aide au développement peut être un
levier vers le renforcement des relations commerciales ; les pratiques
actuelles laissant entrevoir une tendance au mix entre commerce, aide et
investissements dans les relations Sud-Sud.
Des challengers plus efficaces ?
L’étude
de l’ODI fait également émerger des vecteurs de disruption future dans
le secteur de l’aide au développement, telles que les entreprises sociales et la philanthropie stratégique, « concurrents » des agences d’aide bilatérales et des ONG, entre autres.
D’une
part, le pourcentage de l’aide publique arrivant réellement aux
populations destinataires via les canaux traditionnels d’aide au
développement est relativement faible (dû aux coûts d’études, aux coûts
administratifs, à la corruption…), alors que l’aide « privée » tendrait à
être plus efficace (avec des frais généraux plutôt autour de 10%).
D’autre part :
- les montants de la philanthropie dans le monde ont eu des taux de croissance à deux chiffres ces dernières années, et les objectifs des acteurs de la philanthropie privée convergent largement avec les OMD (NB : philanthropie étant entendue ici comme philanthropie individuelle et mécénat des entreprises)
- les projets RSE intégrés au cœur des activités des entreprises ainsi que les offres à destination des populations à la « base de la pyramide » sont de plus en plus nombreux et représentent un marché considérable
- et de plus en plus d’initiatives hybrides voient le jour : entreprises sociales, « impact investing », partenariats ONG-entreprises, etc.
Vers une redéfinition du rôle des ONG ?
Les
acteurs du Nord se trouvent donc confrontés à une remise en cause de
l’équilibre qui prévalait jusqu’ici, pouvant provoquer un basculement
tant des rapports de force internationaux que des pratiques mises en
œuvre dans le secteur de l’aide au développement.
Cela
soulève par conséquent bien des challenges en termes de redéfinition
des périmètres et objectifs d’action, notamment pour les ONG. Dans ce
contexte leur rôle de mise en œuvre de programmes opérationnels glisse
en effet vers une double fonction. D’une part en tant que médiateur, ou point focal dans le cadre d’initiatives s’inscrivant dans une logique de convergence multisectorielle et pluri-acteurs. D’autre part en tant qu’experts reconnus
de façon croissante par les acteurs du secteur privé. Ces mutations
encouragent les ONG à réorienter leurs actions pour s’assurer de
maximiser leur impact, mais également à développer de nouvelles
approches et de nouvelles collaborations afin de partager réflexions et
travail de terrain.
[1] Homi Kharas, Senior Fellow au Brookings Institution, et Andrew Rogerson, Senior Research Associate à ODI, Overseas Development Institute, “Horizon 2025: creative destruction in the aid industry”, Juillet 2012
Source : http://ong-entreprises.blog.youphil.com/archive/2012/10/29/des-ong-en-proie-aux-mutations-du-secteur-de-l-aide-au-devel.html
[1] Homi Kharas, Senior Fellow au Brookings Institution, et Andrew Rogerson, Senior Research Associate à ODI, Overseas Development Institute, “Horizon 2025: creative destruction in the aid industry”, Juillet 2012
Source : http://ong-entreprises.blog.youphil.com/archive/2012/10/29/des-ong-en-proie-aux-mutations-du-secteur-de-l-aide-au-devel.html