L'association, empêtrée dans un conflit social et confrontée à une
baisse significative des dons, apparaît de plus en plus contestée.
Que se passe-t-il à Sidaction ? L’association
emblématique de la lutte contre le sida, fondée en 1994 sur l’agrégat
de plusieurs collectifs militants, traverse une forte zone de
turbulences. Entre un conflit social qui sévit en interne, des salaires
opulents, et une baisse significative des dons, Sidaction apparaît de
plus en plus contestée. A deux mois du lancement d’une nouvelle
collecte, inventaire, point par point, des problèmes qui se posent.
Un conflit social interminable
Cela fait environ deux ans que l’association traverse un conflit social aigu. A l'époque, elle franchit la barre des 50 salariés au-delà de laquelle elle se voit dans l’obligation de se doter d’une colonne syndicale. Le début d’une dégradation des relations entre les salariés et la direction. «Sidaction est une succession de baronnies. Chaque directeur règne en maître sur son département et ceux-ci n’ont absolument pas goûté l’avènement d’un contre-pouvoir», explique Marie-Laure Olmeta, présidente de la CFTC-Spaif, syndicat majoritaire du collectif. Pourtant, notre but n'était pas nécessairement de nous opposer à tout, ou de critiquer de façon outrancière. Nous entendions juste questionner des choix et faire respecter le droit social.» Mais, rapidement, le climat se tend. Entraînant même un débrayage dont Libération s'était fait l'écho en octobre 2011, fait rarissime dans le monde associatif.
Symbole de ces accrochages récurrents : Milko Paris, secrétaire du Comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT), et salarié du collectif depuis 2002. Ancien détenu, il affirme que la direction de Sidaction instrumentalise son passé judiciaire pour le discréditer et l'évincer. En novembre 2009, il dépose plainte pour harcèlement moral. A son propos, l’Inspection du travail écrit une lettre sans équivoque à la direction de Sidaction, le 4 décembre 2009 : «Il apparaît que les conditions de travail de M. Paris affectent sa santé, et que celui-ci se trouve dans une situation de souffrance et de stress qu’il convient de faire cesser.» Le 25 mai dernier, le tribunal des prud’hommes l’a cependant débouté. Mais Milko Paris a interjeté appel.
Pendant ce temps, Sidaction a tenté de le licencier 3 fois, en mai et juillet 2010, puis en novembre 2011. A chaque fois, l’Inspection du travail s’y est fermement opposé. Dans le dossier, que Libération a pu consulter en intégralité, des membres de l’association font état de menaces de mort proférées par Milko Paris à leur encontre. Problème, les dates évoquées ne correspondent pas toujours aux jours de présence de Milko Paris sur son lieu de travail... En retour, ce dernier a porté plainte pour dénonciation calomnieuse. «Si une entité aussi sérieuse que l’Inspection du travail refuse trois fois le licenciement, c’est que le dossier est vide», tonne de son côté Marie-Laure Olmeta.
Qu'à cela ne tienne, Sidaction a engagé début juin un recours hiérarchique auprès du ministère du Travail pour tenter de licencier quand même Milko Paris. Mais, là encore, le renvoi du salarié a été refusé catégoriquement. Dernier rebondissement, il y a quelques jours : Sidaction a saisi le tribunal administratif pour faire annuler la décision du ministère ! «A ce niveau, c’est honteux. C’est de l’acharnement pur et simple. La seule explication possible, c’est que Pierre Bergé ait demandé la tête de Milko Paris», s'exclame Marie-Laure Olmeta. Une allégation réfutée par François Dupré, le directeur général de Sidaction, qui semble toutefois assez embarrassé par le sujet : «Pierre Bergé n’a demandé la tête de personne. C’est un honneur de travailler à ses côtés. Le dossier Milko Paris fait partie des affaires que je ne désire pas commenter. Sur le climat social en général, je dirais que c’est en voie d’apaisement.»
Sans aller jusqu'à une telle radicalité, les cas d’autres salariés en souffrance ont émergé récemment. Depuis le 1er septembre 2011, treize personnes ont quitté Sidaction. Trois ont été licenciées, six ont démissionné, et quatre ont demandé une rupture conventionnelle. Aucun n’a pour l’instant été remplacé. Une hémorragie trop conséquente pour s’avérer anecdotique. «Le turnover des équipes est trop important. La hiérarchie est brutale. On a l’impression d'être dans une boîte privée et non dans une association militante», s’insurge une salariée. Une autre, partie il y a quelques mois, témoigne : «Il y a un chantage affectif permanent entre notre travail et la cause. Tout le monde a envie de lutter contre le sida, mais il faut savoir fixer des limites. La surcharge de travail est trop importante.»
Une gestion discutable de l'argent des donateurs
Toutes ces procédures, évidemment, ont un coût. En 2011, 165 000 euros ont été dépensés en frais prud’homaux et en conseils juridiques. Pour 2012, le montant atteindrait les 108 000 euros selon une source bien informée. Et, bien entendu, Sidaction dépendant à 90% des fonds privés, c’est l’argent des donateurs qui couvre ces frais mirobolants... Autre sujet sensible, celui de la rémunération des cadres de l’association. Actuellement, les salaires des directeurs de service oscillent entre 6 000 et 6 500 euros brut. Pour la direction générale, le chiffre s'élève à 8 000 euros brut. «Ces montants peuvent émouvoir dans un secteur dévolu au caritatif et à l’esprit de partage. Ce n'était pas comme ça il y a quinze ans», confie un vieux routier de la lutte contre le sida. Pour Jérémy Chambraud-Susini, cosecrétaire général d’Act Up-Paris, «ce n’est toutefois pas à Sidaction qu’il faut chercher les pires sidacrates». A titre de comparaison, le directeur général d’Aides, association partenaire de Sidaction, émarge, lui, à 11 000 euros brut...
Une baisse significative des dons
«Une simple inquiétude, mais pas une tendance de fond». C’est ainsi que François Dupré, le directeur général de Sidaction, explique la baisse de 10% des dons amassés en avril dernier. Il est vrai que le timing, cette année, était un peu particulier puisque la collecte a eu lieu seulement quelques jours avant le premier tour de la présidentielle. «Dans ces cas-là, la France s’arrête de tourner quelques temps, estime François Dupré. On ne peut pas le reprocher aux gens qui continuent néanmoins de nous faire confiance.» Jérémy Chambraud-Susini livre, lui, une toute autre explication : «Les médias se font désormais un peu trop l'écho d’une éradication à venir de l'épidémie. Certes, et heureusement, on ne meurt plus du sida en France, mais le pays enregistre entre 6 000 et 7 000 nouvelles contaminations par an. Il y a 34 millions de malades dans le monde. Il n’est donc pas question de baisser la garde. Surtout, les gens ne doivent pas perdre de vue que Sidaction a fait et fait encore un travail considérable dans la lutte contre le sida. Si cette association n'était pas là pour financer de grands programmes, de nombreuses structures fermeraient faute de moyens. Ne crachons pas dans la soupe.» Reste que pour redresser la barre, Sidaction doit se montrer sous un meilleur jour.
Source : http://www.liberation.fr/societe/2012/10/05/les-mauvais-dossiers-de-sidaction_851154
Un conflit social interminable
Cela fait environ deux ans que l’association traverse un conflit social aigu. A l'époque, elle franchit la barre des 50 salariés au-delà de laquelle elle se voit dans l’obligation de se doter d’une colonne syndicale. Le début d’une dégradation des relations entre les salariés et la direction. «Sidaction est une succession de baronnies. Chaque directeur règne en maître sur son département et ceux-ci n’ont absolument pas goûté l’avènement d’un contre-pouvoir», explique Marie-Laure Olmeta, présidente de la CFTC-Spaif, syndicat majoritaire du collectif. Pourtant, notre but n'était pas nécessairement de nous opposer à tout, ou de critiquer de façon outrancière. Nous entendions juste questionner des choix et faire respecter le droit social.» Mais, rapidement, le climat se tend. Entraînant même un débrayage dont Libération s'était fait l'écho en octobre 2011, fait rarissime dans le monde associatif.
Symbole de ces accrochages récurrents : Milko Paris, secrétaire du Comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT), et salarié du collectif depuis 2002. Ancien détenu, il affirme que la direction de Sidaction instrumentalise son passé judiciaire pour le discréditer et l'évincer. En novembre 2009, il dépose plainte pour harcèlement moral. A son propos, l’Inspection du travail écrit une lettre sans équivoque à la direction de Sidaction, le 4 décembre 2009 : «Il apparaît que les conditions de travail de M. Paris affectent sa santé, et que celui-ci se trouve dans une situation de souffrance et de stress qu’il convient de faire cesser.» Le 25 mai dernier, le tribunal des prud’hommes l’a cependant débouté. Mais Milko Paris a interjeté appel.
Pendant ce temps, Sidaction a tenté de le licencier 3 fois, en mai et juillet 2010, puis en novembre 2011. A chaque fois, l’Inspection du travail s’y est fermement opposé. Dans le dossier, que Libération a pu consulter en intégralité, des membres de l’association font état de menaces de mort proférées par Milko Paris à leur encontre. Problème, les dates évoquées ne correspondent pas toujours aux jours de présence de Milko Paris sur son lieu de travail... En retour, ce dernier a porté plainte pour dénonciation calomnieuse. «Si une entité aussi sérieuse que l’Inspection du travail refuse trois fois le licenciement, c’est que le dossier est vide», tonne de son côté Marie-Laure Olmeta.
Qu'à cela ne tienne, Sidaction a engagé début juin un recours hiérarchique auprès du ministère du Travail pour tenter de licencier quand même Milko Paris. Mais, là encore, le renvoi du salarié a été refusé catégoriquement. Dernier rebondissement, il y a quelques jours : Sidaction a saisi le tribunal administratif pour faire annuler la décision du ministère ! «A ce niveau, c’est honteux. C’est de l’acharnement pur et simple. La seule explication possible, c’est que Pierre Bergé ait demandé la tête de Milko Paris», s'exclame Marie-Laure Olmeta. Une allégation réfutée par François Dupré, le directeur général de Sidaction, qui semble toutefois assez embarrassé par le sujet : «Pierre Bergé n’a demandé la tête de personne. C’est un honneur de travailler à ses côtés. Le dossier Milko Paris fait partie des affaires que je ne désire pas commenter. Sur le climat social en général, je dirais que c’est en voie d’apaisement.»
Sans aller jusqu'à une telle radicalité, les cas d’autres salariés en souffrance ont émergé récemment. Depuis le 1er septembre 2011, treize personnes ont quitté Sidaction. Trois ont été licenciées, six ont démissionné, et quatre ont demandé une rupture conventionnelle. Aucun n’a pour l’instant été remplacé. Une hémorragie trop conséquente pour s’avérer anecdotique. «Le turnover des équipes est trop important. La hiérarchie est brutale. On a l’impression d'être dans une boîte privée et non dans une association militante», s’insurge une salariée. Une autre, partie il y a quelques mois, témoigne : «Il y a un chantage affectif permanent entre notre travail et la cause. Tout le monde a envie de lutter contre le sida, mais il faut savoir fixer des limites. La surcharge de travail est trop importante.»
Une gestion discutable de l'argent des donateurs
Toutes ces procédures, évidemment, ont un coût. En 2011, 165 000 euros ont été dépensés en frais prud’homaux et en conseils juridiques. Pour 2012, le montant atteindrait les 108 000 euros selon une source bien informée. Et, bien entendu, Sidaction dépendant à 90% des fonds privés, c’est l’argent des donateurs qui couvre ces frais mirobolants... Autre sujet sensible, celui de la rémunération des cadres de l’association. Actuellement, les salaires des directeurs de service oscillent entre 6 000 et 6 500 euros brut. Pour la direction générale, le chiffre s'élève à 8 000 euros brut. «Ces montants peuvent émouvoir dans un secteur dévolu au caritatif et à l’esprit de partage. Ce n'était pas comme ça il y a quinze ans», confie un vieux routier de la lutte contre le sida. Pour Jérémy Chambraud-Susini, cosecrétaire général d’Act Up-Paris, «ce n’est toutefois pas à Sidaction qu’il faut chercher les pires sidacrates». A titre de comparaison, le directeur général d’Aides, association partenaire de Sidaction, émarge, lui, à 11 000 euros brut...
Une baisse significative des dons
«Une simple inquiétude, mais pas une tendance de fond». C’est ainsi que François Dupré, le directeur général de Sidaction, explique la baisse de 10% des dons amassés en avril dernier. Il est vrai que le timing, cette année, était un peu particulier puisque la collecte a eu lieu seulement quelques jours avant le premier tour de la présidentielle. «Dans ces cas-là, la France s’arrête de tourner quelques temps, estime François Dupré. On ne peut pas le reprocher aux gens qui continuent néanmoins de nous faire confiance.» Jérémy Chambraud-Susini livre, lui, une toute autre explication : «Les médias se font désormais un peu trop l'écho d’une éradication à venir de l'épidémie. Certes, et heureusement, on ne meurt plus du sida en France, mais le pays enregistre entre 6 000 et 7 000 nouvelles contaminations par an. Il y a 34 millions de malades dans le monde. Il n’est donc pas question de baisser la garde. Surtout, les gens ne doivent pas perdre de vue que Sidaction a fait et fait encore un travail considérable dans la lutte contre le sida. Si cette association n'était pas là pour financer de grands programmes, de nombreuses structures fermeraient faute de moyens. Ne crachons pas dans la soupe.» Reste que pour redresser la barre, Sidaction doit se montrer sous un meilleur jour.
Source : http://www.liberation.fr/societe/2012/10/05/les-mauvais-dossiers-de-sidaction_851154