Alors que 860 millions de personnes sont
victimes de malnutrition, et que la fin du siècle comptera 2,5
milliards de bouches supplémentaires à nourrir, la moitié des denrées
alimentaires produites dans le monde est aujourd'hui gaspillée. C'est la
triste conclusion du rapport Global Food ; Waste Not, Want Not
publié jeudi 10 janvier par l'Institution of Mechanical Engineers
(IME), l'organisation britannique des ingénieurs en génie mécanique.
Selon cette étude, entre 30 % et 50 %
des 4 milliards de tonnes d'aliments produites chaque année sur la
planète (soit entre 1,2 et 2 milliards de tonnes) ne finissent jamais
dans une assiette. En Europe et aux Etats-Unis en particulier, jusqu'à
la moitié de la nourriture achetée est jetée par les consommateurs
eux-mêmes.
En cause : des dates de péremption
inutilement strictes, des promotions "deux pour le prix d'un",
l'exigence des consommateurs occidentaux pour des produits alimentaires
esthétiquement parfaits, ainsi que des mauvaises pratiques agricoles,
des infrastructures inadaptées et des lieu de stockage peu performants.
Dans les pays en développement, les
pertes de nourriture ont lieu au début de la chaîne d'approvisionnement,
entre le champ et le marché, du fait de récoltes inefficaces,
d'infrastructures de transport locales inadéquates ou de conditions de
stockage inappropriées. Lorsque le niveau de développement de l'Etat
augmente, indique le rapport, le problème se déplace vers l'aval de la
chaîne de production avec des déficiences au niveau des infrastructures
régionales et nationales. Dans le Sud-Est asiatique, par exemple, les
pertes de riz oscillent entre 37 % et 80 % de la production totale en
fonction du stade de développement du pays, la Chine se situant par
exemple à 45 % et le Vietnam à 80 %.
Dans les pays développés au contraire,
une plus grande partie de la nourriture atteint les consommateurs en
raison de bonnes infrastructures. Mais le gaspillage est tout de même à
l'œuvre du fait de mauvaises pratiques de marketing et du comportement
des consommateurs. Ainsi, jusqu'à 30 % des cultures de légumes du
Royaume-Uni ne sont jamais récoltées.
Cette perte nette ne se limite pas,
selon le rapport, aux déchets générés par les aliments non consommés. Le
gâchis est visible à tous les niveaux de la chaîne de production
alimentaire, dans l'utilisation des terres, de l'eau et de l'énergie.
Environ 550 milliards de m3 d'eau sont ainsi perdus pour
faire pousser des récoltes qui n'atteindront jamais les consommateurs.
En raison de ce gaspillage, et de la hausse de la population, la demande
en eau pourrait atteindre dix à treize mille milliards de m3 par an en 2050, soit trois fois plus que la demande actuelle.
"La quantité de nourriture gaspillée et perdue dans le monde est stupéfiante, déplore Tim Fox, en charge de l'énergie et de l'environnement à l'IME. C'est
de la nourriture qui pourrait être utilisée pour nourrir la population
croissante de la planète ainsi que ceux qui ont faim aujourd'hui. C'est
également un gaspillage inutile des ressources terrestres, aquatiques et
énergétiques qui ont été utilisées dans la production, la
transformation et la distribution de ces aliments."
Face à la perspective d'une humanité à
9,5 milliards de têtes d'ici à 2075, impliquant une pression croissante
sur les ressources nécessaires à la production alimentaire, l'IME
appelle à une action urgente afin d'éviter ce gaspillage. "Les ingénieurs ont un rôle crucial à jouer dans la prévention du gaspillage alimentaire en développant des modes de culture de transport et de stockage plus efficaces", estime l'organisation.
Mais de préciser : "Pour y parvenir, les gouvernements, les agences de développement et les organisations comme les Nations unies doivent
travailler ensemble pour aider les mentalités à changer en matière de
déchets et décourager les pratiques de gaspillage des agriculteurs,
producteurs alimentaires, supermarchés et consommateurs."
Ces changements permettraient d'offrir
60 à 100 % de nourriture en plus sans augmenter la production, tout en
libérant du terrain et en diminuant la consommation d'énergie.