Depuis le début de l'intervention française au Mali, vendredi 11 janvier, les organisations humanitaires guettent, non sans une certaine inquiètude, les mouvements de population
affectées par les combats dans le nord du pays. Les colonnes de
déplacés maliens, qui ont pris la route au cours des mois précédents
pour gagner
d'autres villes ou les pays limitrophes, semblent s'être taries. Fin
décembre, le Bureau de coordination des affaires humanitaires des
Nations unies (OCHA) comptabilisait 225 000 déplacés à l'intérieur du
pays et 144 400 réfugiés dans les camps établis en Mauritanie, en Algérie, au Niger et au Burkina Faso.
Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), qui rend compte, pour sa part, de 7 337 nouveaux réfugiés, précise que les nouveaux arrivants au Burkina sont des femmes et des enfants touareg utilisant des transports collectifs payés l'équivalent de 50 dollars (38 euros). Les hommes sont partis à pied, souvent avec des troupeaux. Ces populations en fuite évoquent la crainte des bombardements et des combats, de l'application de la loi islamique ; et les pénuries de nourriture et de fioul.
LE CALME AVANT LA TEMPÊTE
Cette chute drastique du nombre de réfugiés et de déplacés internes pourrait ne pas durer. Pour le HCR, ce serait plutôt le calme avant la tempête. L'organisation estime en effet "que dans le futur proche, il pourrait y avoir 300 000 déplacés supplémentaires au Mali et 400 000 réfugiés supplémentaires dans les pays voisins", a indiqué, vendredi 18 janvier, sa porte-parole, Melissa Fleming.
Au
sein des organisations humanitaires, ce statu quo momentané soulève
quelques interrogations. Les habitants restent-ils cantonnés chez eux
par choix ou y sont-ils contraints ? Andrea Bussotti, chargé de communication Mali au sein de Médecins sans frontières (MSF), estime que tout peut-être envisagé à ce stade. "La population est-elle utilisée comme bouclier humain ? C'est une question de bon sens qu'on est en droit de se poser. Mais d'autres explications sont à envisager :
que les populations ne sortent pas des villes du fait des combats ou de
l'impossibilité de se déplacer, que des populations soient déjà en
déplacement mais pas dans les radars des ONG qui ne sont pas sur place", commente-t-il. Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch (HRW), précise ainsi que "certaines personnes sont sorties des villes et se mettent juste à l'abri quelques temps dans la brousse à quelques kilomètres."
RESTRICTIONS D'ACCÈS AU NORD
La situation à Konna inquiète particulièrement. Cette ville-pivot au centre du pays, conquise par les groupes armés islamistes jeudi 10 janvier, a été complètement bouclée par les forces française et malienne du fait des intenses combats qu'elles y livraient. Quand ces dernières ont annoncé, vendredi 18 janvier, la reconquête de la ville, MSF a réclamé l'accès des organisations humanitaires à la ville pour permettre l'acheminement des secours. "Il est essentiel de permettre l'acheminement d'une aide médicale et humanitaire neutre et impartiale dans les zones touchées par le conflit", a alerté Malik Allaouna, directeur des opérations de MSF. Les ONG craignent en effet que les habitants de la ville, empêchés d'en sortir, ne se trouvent après plus d'une semaine de combats dans une situation d'urgence médicale, sanitaire et alimentaire alarmante. Les allégations concernant des exactions de l'armée malienne dans les villes reconquises ne font qu'amplifier les craintes.
DES ACTIVITÉS RÉDUITES
Les ONG déjà présentes dans le nord du Mali avant l'intervention française ont pu poursuivre leurs activités, mais de façon plus limitée du fait de la dégradation des conditions sécuritaires. "A Douentza [une ville dans la région de Mopti], nos équipes sont bunkérisées", indique Andrea Bussotti de MSF. Les activités des neuf cliniques mobiles ont été arrêtées, tandis que le personnel local continue à travailler tant bien que mal à Diabali, Mopti et Tombouctou. Par crainte des enlèvements, la plupart des organisations ont composé la majeure partie de leurs équipes de travailleurs locaux ou travaillent en coordination avec des partenaires locaux.
Le PAM a dû suspendre ses activités dans le Nord du fait de la détérioration des conditions sécuritaires. "Les camions sont chargés et prêts à partir quand les conditions de sécurité seront assurées", a indiqué une porte-parole du PAM, Elisabeth Byrs. Une distribution de nourriture pour 1 500 déplacés à Mopti a notamment dû être reportée en raison de la diminution de la présence humanitaire dans cette ville du centre du Mali. "Si nous ne sommes pas capables de reprendre nos activités bientôt, les populations vont commencer à être nerveuses et à reprendre la route", indique Zlatan Milisic, du PAM.
UNE SITUATION HUMANITAIRE DÉJÀ CRITIQUE
Les organisations humanitaires craignent une détérioration rapide de la situation. "La situation n'est pas encore alarmante. Mais, nous ne sommes qu'au début de ce que nous voyons comme une nouvelle situation", indique Zlatan Milisic du PAM. "Des problèmes de pénurie d'eau, d'électricité et de médicaments notamment pourraient vite se poser", indique Michel Olivier Lacharité, chercheur Afrique du Nord pour Amnesty International. L'organisation Action contre la faim (ACF), qui a pu reprendre cette semaine ses activités à Gao, alerte quant à elle sur les pénuries alimentaires.
"Avec la fermeture de la frontière algérienne et les combats sur l'axe Bamako-Gao, les commerçants et transporteurs auront sans doute de plus grandes difficultés à passer", alors que "la ville de Gao est le plus souvent approvisionnée en nourriture à partir de l'Algérie" voisine, explique l'ACF. Le PAM a également constaté une réduction des transports commerciaux depuis le Niger, bien que la frontière ne soit pas fermée. Seul le trafic fluvial sur le fleuve Niger semble être assuré jusqu'à Mopti, indique Zlatan Milisic. Autre inquiètude soulevée par ACF : "un manque de disponibilité d'argent liquide" du fait de "la fermeture de toutes les banques depuis plusieurs mois à Gao".
Les inquiétudes sont d'autant plus grandes que l'année 2012 a été marquée par une crise humanitaire aiguë, résultant de la sécheresse qui a sévi au Mali. Le PAM a dû venir en aide, au cours des huit derniers mois, à plus de 1,2 million de personnes affectées par les conséquences de la sécheresse.
"L'année dernière, un tiers des habitants du Nord avait besoin d'assistance humanitaire. Si la situation s'est grandement améliorée dans le sud du pays à la fin de l'année, elle reste plutôt inquiétante dans le nord, et ce d'autant plus avec les problèmes de communications entre le nord et le sud et la réduction des capacités des autorités maliennes", indique Zlatan Milisic (PAM).
AUGMENTER LE FINANCEMENT
La question du financement de l'aide humanitaire au Mali commence à inquiéter les organisations. "L'année dernière, la réponse des donateurs a été bonne pour répondre à la sécheresse. Mais elle a été réduite une fois que le problème a été moins aigu. Nous avons les budgets pour maintenir nos activités jusqu'en mars. Nous avons besoin de financements pour maintenir nos activités au-delà", alerte Zlatan Milisic.
En réponse à ces inquiétudes, l'Union européenne (UE) a indiqué, le 18 janvier, qu'elle pourrait "rapidement mobiliser une enveloppe d'environ 250 millions d'euros" dans des programmes de développement. L'aide humanitaire de l'UE au Mali a atteint 73 millions d'euros en 2012, et a été accrue de 20 millions en fin d'année. Une partie des programmes a toutefois été suspendue par Bruxelles à la suite du coup d'Etat du 22 mars 2012 à Bamako. Les ministres européens ont conditionné leur reprise à l'engagement des autorités de transition à faire des progrès dans le processus "visant à rétablir la démocratie et l'ordre constitutionnel", avec l'annonce de nouvelles élections.
Source : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/22/les-ong-s-alarment-de-la-situation-humanitaire-au-mali_1818818_3212.html