L’impression est juste : à cinq kilomètres au-dessus de Goma, le camp avait accueilli une foule de déplacés, au cours des derniers mois. Lorsque l’offensive du dernier mouvement rebelle en date, de la région, le M23, a repris à la mi-novembre, il est devenu clair que les combats de déplaçaient vers la capitale du Nord Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Sur la route de la guerre en mouvement, il y avait Kanyarucina et ses dizaines de milliers de déplacés.
En quelques heures, toutes les personnes installées là depuis des mois avec des moyens de fortune ont empaqueté ce qu’elles pouvaient et pris la fuite tandis que l’offensive surprise des rebelles, approchait de Goma.
Kanyarucina s’est vidée en même temps que les militaires congolais fuyaient les fronts après deux jour seulement d’affrontement et une manœuvre de contournement des rebelles. Ainsi se mène la guerre au Congo, avec des foules en mouvement et une armée qui semble toujours pressée de leur emboîter le pas. De ce camp, les piétons étirés en longues colonnes ont gagné d’autres camps, d’autres sites. Certains au bord du lac Kivu, en pleine saison des pluies, sans réserves ni nourriture, avec un risque de choléra qui hante toujours la région à cette période de l’année.
"Situation is under control"
Puis Goma est tombée, pour la plus grande surprise de ceux qui auraient pu aider ces déplacés : les responsables de l’action humanitaire, depuis les ONG jusqu’aux fonctionnaires des Nations unies, employés par les agences de l’ONU ou par la Monusco (mission de stabilisation onusienne).
"Jusqu’au dernier moment, la sécurité me disait : 'situation is under control, situation is under control' [la situation est sous contrôle] comme si les casques bleus allaient empêcher la chute de Goma, et on me le répétait encore alors que le [mouvement rebelle du] M23 entrait déjà dans Goma", s’émerveille une source haut placée dans le dispositif humanitaire de l’ONU à Goma.
En clair : jusqu’à la dernière seconde, aucun mécanisme au sein des nations unies n’a permis de déterminer que l’attaque rebelle allait menacer Goma, et aboutir à sa chute. Pour pouvoir s’organiser, gérer l’urgence, il aurait fallu bénéficier d’informations fiables quant à la progression des lignes de front, ou de ce qui en tenait lieu, puisque l’armée régulière ne s’est opposée qu’à deux reprises à la poussée rebelle avant de décrocher avec femmes, enfants, et parfois animaux domestiques (on a signalé l’existence de chèvres dans les rangs congolais lorsque ceux-ci ont fui Goma, à pied, en direction de petites villes du lac qu’ils ont en partie pillées les jours suivants).
Face aux risques de pillages et de combats, de nombreuses ONG qui n’avaient pas été surprises par les combats ont donc évacué une partie de leurs employés étrangers. "On déploie une énergie énorme pour la sécurité", soupire le chef de mission d’une ONG sur place. Les "personnels non essentiels"de l’ONU ont été évacués aussi dans un joli désordre, et trompent l’ennui à Entebbe, en Ouganda, dans les hôtels du bord du lac.
Dans l’effervescence et l’urgence, personne n’a encore pris le temps de s’interroger sur cette forme de débâcle. Personne, parmi les analystes des ONG ou ceux des Nations unies, pas plus que les spécialistes militaires de l’ONU dont les bataillons font partie de la Monusco, n’avaient envisagé la possibilité d’une offensive rebelle préparée dans le plus grand secret. Depuis que les rapports des groupes d’experts des Nations unies, qui mettent en avant l’implication du Rwanda et de l’Ouganda voisin aux côtés de la rébellion, entraînent des pressions, et une petite série de sanctions, contre la rébellion et ses parrains, le relations avec les observateurs étrangers se sont rafraîchies. L’information, c’est aussi le nerf de l’action humanitaire.
Or, de nombreux experts estimaient que le M23 était en train de progresser en direction de la région du Masisi, au nord-ouest de Goma, pour étendre les zones sous son contrôle, mais n’oserait pas s’attaquer à la capitale régionale du Nord Kivu.
Ils se trompaient. Pendant quelques jours, le chaos a régné parmi la majorité des acteurs humanitaires, du moins ceux qui étaient encore là.
Des
Congolais ont manifesté à Goma le 6 décembre pour dénoncer l'inaction
des Nations unies et du gouvernement après la prise de la ville par le
M23, le 20 novembre. (AFP/Phil Moore)
Deux semaines plus tard, les rebelles, suite à de fortes pressions, se sont résolus à quitter Goma pour s’installer dans les environs. Les forces de la police congolaise assurent tant bien que mal la sécurité de l’agglomération d’un million de personnes. Mais une grande partie des ONG qui oeuvrent dans le développement ou les programmes au long cours, continuent de faire coucher leurs expatriés, chaque soir, au Rwanda voisin. Les organisations liées à l’urgence, elles, fonctionnent à présent à plein volume.
Selon le dernier décompte, il y a eu 128 000 déplacés supplémentaires dans Goma et les environs au cours des journées de crise. La population d’un camp, celui du lac vert, a doublé en l’espace d’une nuit quand la ville voisine de Saké a été la cible d’une contre attaque de troupes loyalistes, alors qu’elle avait été prise par les rebelles 48 heures plus tôt. Il y a actuellement 21 camps au Nord Kivu, gérés par le HCR, et 31 "sites spontanés" dont le nombre menace de continuer à augmenter.
Parmi les organisations présentes à Goma et dans les environs, l’urgence, c’est de se consacrer aux déplacés. Ceux qui ont été chassés de chez eux depuis les mois ou les années précédentes, et les victimes des dernières phases de ce long conflit. A OCHA, l’agence des Nations unies en charge de la coordination humanitaire, Caroline Péguet, chargée de la coordination pour le Nord Kivu, parle de "déplacements pendulaires" : le mouvement des populations qui vont et viennent dans la région au hasard des évolutions militaires. Un calvaire. Et un cauchemar logistique. Elle décrit les différentes priorités des ONG et de l’ONU dans cette phase : assurer des distributions d’eau, mais aussi de petites quantités de nourriture (3 kg) et d’objets essentiels à la vie dans ces conditions (par exemple des jerrican en plastique pliables), le tout en poids plume, pour "éviter de fixer les gens".
Par exemple, on distribue des rouleaux de bâche qui permettent d’organiser une protection pour des dizaines de personnes, mais n’incitent pas à rester.
C’est l’un des grands problèmes de la région : compte tenu de la violence imposée par les différents groupes armés à la population dans les campagnes, de plus en plus de déplacés décident de rester à proximité des villes.
Prés des camps de Mugunga, on trouve des boîtes de nuit, des marchés (où il est possible d’acheter l’aide tout juste distribuée), et des maisonnettes construites par des déplacés qui sont en train de faire de cet endroit une banlieue pauvre et excentrée de Goma, mais où le prix des "parcelles" (terrains) est abordable, alors que l’équivalent dans Goma est hors de prix. "La priorité, maintenant, c’est d’assister sur les lieux de retour", explique Caroline Péguet.
La machine humanitaire s'est mise en place
Dans les premiers jours après la prise de Goma, une machine humanitaire s’est mise en marche sur place, afin d’assurer des distributions de nourriture quelque soit le lieu où se trouvent les populations déplacées, grâce au Programme alimentaire mondial (PAM), un temps déstabilisé par l’urgence et qui a remis en route son système de distribution (par des ONG ou des transporteurs locaux, entre autres), avec devant lui des stocks pleins pour des mois, selon Hien Adjemian, chargé de la logistique sur place.
Dans un second temps, des "foires fermées" avec des coupons distribués aux déplacés sont organisées prés des habitations d’où les familles avaient fui à l’origine. Avec ces coupons, il est possible d’acheter des objets de première nécessité à des commerçants sélectionnés. Une forme de "prime au retour", dans les régions accessibles, notamment dans le Rutshuru, au nord de Goma. Dans le Masisi, en revanche, où les besoins sont énormes, la présence de multiples groupes armés fait de cette région en altitude, au nord-ouest de Goma, un semi-désert humanitaire.
Dans l’immédiat, c’est surtout aux alentours de Goma que sont entrés en jeu les spécialistes de l’urgence médicale. Comme MSF (voir film). Ou le CICR (Comité international de la Croix rouge), au sein duquel, comme pour le reste des acteurs étrangers dans la région, l’attaque de Goma faisait seulement partie d’une des multiples "scenarios".
Dés le 20 novembre, jour de la prise de la ville, une équipe du CICR est sortie de ses locaux pour évaluer les besoins. "La première urgence opérationnelle, c’est les blessés et l’eau" explique Frédéric Boyer, chef de la sous-délégation Nord-Kivu. A l’hôpital général, il n’y avait le jour de la prise de la ville, plus un médecin, plus une infirmière. Cela s’explique. Nul ne savait quel serait le résultat de l’attaque de la ville.
Il a fallu évacuer des blessés, commencer à renforcer les capacités médicales Il a fallu évacuer des blessés, commencer à renforcer les capacités médicales Depuis le 21 novembre, le CICR, comme MSF, opère non stop, grâce à des renforts envoyés en urgence. Une quarantaine expatriés sont présents au Nord-Kivu dans l’équipe CICR ces jours-ci.