vendredi 7 décembre 2012

Des maraudes citoyennes pour aider les SDF

Ils parlent tous de "déclic". C’était à la sortie d’un cours de théâtre pour Laurent, à une terrasse de café pour Denis, suite à une panne de chaudière pour Katia… Un jour, ces citoyens ordinaires ont décidé de s’engager auprès des sans-abri, en marge des associations classiques de solidarité. Sans subvention de l’Etat, ni expérience, ils maraudent, distribuent de la nourriture, des vêtements, voire proposent des hébergements. 115 du particulier, ActionFroid, Tends la main, Toit à moi… tous ces collectifs s’épanouissent, depuis quelques mois via Internet.


Ivan, bénévole à ActionFroid offre une couverture à un sans-abri.
(Photo Gwenn Dubourthoumieu pour Le Monde)

Février 2012 : Laurent Eyzat, 48 ans, gérant d’une petite entreprise de communication visuelle en région parisienne, est saisi par le froid. Sitôt rentré chez lui, il lance via son compte Facebook un appel à la solidarité. Très vite, son "cri d’indignation" trouve un écho sur la toile. "En 15 jours, j’avais 4000 euros de promesses de dons, et 1200 personnes qui se disaient prêtes à s’engager à mes côtés", raconte M.Eyzat, qui en dehors de dons de temps en temps, ne s’était jamais investi dans le caritatif. En quelques semaines, des collectifs ActionFroid s’ouvrent dans 14 villes.

Neuf mois plus tard, ActionFroid fonctionne toujours, même si l’engouement du début est un peu retombé. Responsable de l’antenne parisienne, Laurent Eyzat peut compter sur un noyau dur d’une soixantaine de bénévoles qui, avec lui, vont aux devants des sans-abri, chaque samedi soir.

A l’instar d’ActionFroid, beaucoup de ces groupes informels ont dû prendre au bout de quelques mois, notamment pour des raisons juridiques, le statut d’association loi 1901. Pourtant, elles revendiquent toujours leur différence.


Isabelle, Sylvie et Adriana, préparent la maraude chez Laurent Eyzat
(Photo Gwenn Dubourthoumieu pour Le Monde)

"Les associations dépendantes des subventions publiques sont en quelque sorte des sous-traitants de l’Etat et doivent s’inscrire dans un cadre d’action prédéfini, considère Denis Castin, 40 ans. Nous, nous avions envie de faire du social à notre manière." En 2007, il se lance avec un ami, Gwenaël Morvan, 35 ans, dans un pari fou : réunir des parrains pour acheter des appartements et y loger des personnes sans-abri, moyennant un loyer modique.

Cinq ans après la genèse du projet, Toit à moi possède quatre appartements dans le centre de Nantes et vient de rembourser l’achat de son premier logement. "Personne ne croyait en notre projet", se rappelle Denis Castin. Les deux amis, qui travaillent alors dans une structure associative d’aide à la création d’entreprise, arrivent cependant à persuader une banque de leur accorder un prêt sur cinq ans pour l’achat d’un premier T1, d’environ 80.000 euros. Sans apport personnel, ils trouvent 80 personnes qui s’engagent à débourser en moyenne 20 euros par mois pour rembourser l’emprunt contracté. "L’un des avantages de notre modèle économique est qu’il ne dépend pas des aléas des financements publics", analyse Denis Castin. "Parfois de très bons projets s’arrêtent faute de subventions", regrette ce fils de profs qui considère que l’Etat fait déjà sa part via les déductions fiscales qu’il accorde sur les dons.


Le garage où les bénévoles d'ActionFroid stockent couvertures, vêtements...qu'ils vont distribuer lors de leur maraude.
(Photo Gwenn Dubourthoumieu pour Le Monde)

Katia Pillet, 34 ans, a elle aussi voulu agir, en toute liberté. Son collectif Tends la main, fort d’une trentaine de personnes, va chaque semaine à la rencontre des sans-abri de Dijon. Il repose entièrement sur la débrouille et la générosité. "Dépendre de subventions, c’est se taire, même quand vous n’êtes pas d’accord", affirme la jeune mère célibataire, qui n’avait jamais fait partie d’aucune association auparavant.

"Il y a une certaine liberté d’engagement et une proximité dans les petites structures qui correspond à ce que beaucoup de personnes recherchent", considère Sylvie Lhoste, qui anime le portail Internet www.entraidescitoyennes.com, dont le but est de recenser les initiatives de ce type. "Les gens viennent quand ils peuvent et avec ce qu’ils ont. On est là pour aider point, pas pour décortiquer ou vérifier une situation", poursuit cette ancienne journaliste, reconvertie dans le commerce, et par ailleurs bénévole à ActionFroid.

"La lourdeur administrative, les conflits entre dirigeants et entre bénévoles, les clans…", ont poussé Hélène Haon à fuir les structures traditionnelles. A 27 ans, la jeune femme a cherché hors des sentiers balisés du caritatif un moyen de s’engager. Depuis quelques mois, elle gère le site internet du 115 du particulier, une plateforme qui met en relation des sans-abri et des personnes qui proposent des offres notamment d’hébergement.
Ce foisonnement d’initiatives citoyennes bouscule les acteurs traditionnels de la solidarité, partagés entre admiration et prudence. "C’est un signe positif de la maturité de la société civile qui a parfois compris avant nous, les associations, que l’Etat ne pouvait pas tout, analyse Didier Piard, directeur de l’action sociale de la Croix-Rouge. Par ailleurs, il est salutaire que la solidarité ne soit pas seulement l’affaire du duo Etat/association." Le responsable caritatif met toutefois en garde: "La prise en charge des SDF est lourde. Les aidants non professionnels et non encadrés peuvent être dépassés par une réalité, qu’il n’avait pas soupçonnée. Il y a aussi tout un côté affectif qu’il faut pouvoir gérer".


Ivan en maraude dans le 12e arrondissement de Paris.
(Photo Gwenn Dubourthoumieu pour Le Monde)

A la Fédération des banques alimentaires, le directeur Maurice Lony pointe aussi d’autres risques plus terre à terre: "On ne peut pas faire n’importe quoi en matière de distribution et de fabrication alimentaire. C’est pour cette raison, que nous ne fournissons des denrées qu’à des structures qui répondent à des conditions d’hygiène et de sécurité satisfaisantes, la taille n’est pas un critère mais le côté amateur peut faire oublier certaines précautions."
Des arguments que ne dissuadent pas les bonnes volontés. "Les grosses associations n’ont pas le monopole du cœur et de la misère, réplique Laurent Eyzat. Nous sommes complémentaires et hélas il y a du travail pour tout le monde."
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"La générosité mais sans le côté culpabilisant"
L’une travaille à ADP, une grosse société gestionnaire des aéroports parisiens, l’autre est technico-commercial dans une petite entreprise de mécanique. Depuis quelques mois, plusieurs samedis par mois, Sylvie B. (qui a requis l’anonymat) et Christine Paturel sont bénévoles au sein du collectif ActionFroid.

Elles consacrent ainsi une partie de leur week-end, à collecter, trier puis distribuer, vêtements, produits d’hygiène, boissons chaudes. Du monde des sans-abri, elles ne connaissaient rien. C’est "par hasard", en écoutant une émission de radio que Sylvie entend parler du 115 du particulier, un site lancé en février 2012 pour mettre en relation sans-abri et citoyen disposant d’un toit. Elle franchit le pas et accueille durant deux mois et demi une personne en difficulté.

"La cohabitation s’est très bien passée", raconte-t-elle. "Mais je me suis aperçue que cet engagement était lourd, qu’à partir du moment où l’on accepte quelqu’un chez soi, on ne va le remettre dehors tant qu’il n’a pas trouvé de solution pérenne", explique Sylvie, 49 ans. Elle décide pourtant une fois son hôte relogé de continuer son action envers les plus démunis. "Je ne sais pas pourquoi cela m’a pris d’un seul coup, moi qui n’avait jamais milité, qui n’était jamais allée au bout de mon idée de m’engager auprès d’une association. J’étais peut-être sensibilisée car dans mon histoire familiale, quelqu’un a un temps connu la rue, poursuit Sylvie. En tout cas, c’est qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui c’est devenu une évidence".

En mai 2012, la mère de famille d’une grande fille de 27 ans, prend alors contact avec ActionFroid. Lors de sa première maraude, elle prend "une claque". "J’ai réalisé le lendemain en racontant à mon mari la soirée, la force de ce que j’avais vécu. J’ai aussi pris conscience qu’après une telle expérience, il serait difficile de ne pas y retourner". Parce qu’elle a une "vie familiale, sociale", Sylvie ne vient pas tous les samedis. Elle peut compter sur le soutien de son mari, mais celui-ci pour l’instant se tient en dehors de son engagement.

La plupart des bénévoles d’Action Froid sont d’ailleurs des femmes,  âgées entre 40 et 50 ans, en activité. "Il y a quelques hommes qui commencent à arriver, c’est bien", constate Christine Paturel. Mère d’une étudiante de 19 ans, Christine, 47 ans, cherchait des idées de sorties sur un site internet spécialisé quand elle est tombée sur une annonce déposée par ActionFroid. "J’avais envie de faire du bénévolat mais je n’avais jamais franchi le pas", explique cette cadre technico-commercial. Malgré ses appréhensions, sa première maraude se passe bien. Depuis elle fait partie des bénévoles les plus réguliers.
"Si on peut aider à notre petite échelle, tant mieux", explique Christine qui apprécie l’ambiance très conviviale du collectif. "J’ai fait de belles rencontres, des personnes que je n’aurais sans doute jamais côtoyées, ça permet aussi de relativiser ses petits soucis", poursuit la bénévole. Toujours trois par voiture, les maraudeurs se retrouvent souvent après leur tournée, au domicile du fondateur et responsable d’Action Froid Paris Laurent Eyzat, pour décompresser. Parce qu’elles ont chacune un véhicule, avec lequel elle parte en maraude, Sylvie et Christine font rarement équipe ensemble. Elles se connaissent d’ailleurs assez peu mais disent pourtant apprécier la même chose dans leur petit collectif : "La générosité mais sans le côté culpabilisant".

Source : http://crise.blog.lemonde.fr/2012/12/05/aide-aux-sdf-laction-spontanee-des-benevoles/