samedi 12 janvier 2013

Melinda Gates: le contrôle des naissances, un concept toujours aussi central

La contraception apporte aux femmes le pouvoir de décision –une bonne nouvelle pour les programmes de santé publique et de développement.


Melinda Gates, à Londres en juillet 2012, lors d'un sommet sur le planning familial. REUTERS/Suzanne Plunkett

J'ai consacré en 2012 l’essentiel de mon temps à militer en faveur d’un accès plus facile au planning familial partout dans le monde. Au départ, j’indiquais à quiconque voulait m’entendre que je voulais contribuer à remettre les contraceptifs au premier plan des programmes de développement et de santé publique dans le monde. Lors de mes visites auprès de femmes dans les pays en voie de développement, j’ai réalisé que cette formulation ne collait pas tout à fait au message que je voulais faire passer.

Les contraceptifs sont des outils, et le développement une construction abstraite. Ce qui manque, ce sont les êtres humains, les femmes qui partout dans le monde me répètent encore et toujours que l’accès à des méthodes de contrôle des naissances adaptées leur permettrait de changer leur avenir.

Aujourd’hui, je dis aux gens que je veux mettre les femmes au centre des efforts de développement et de santé publique dans le monde, et qu’une contraception de meilleure qualité représente pour elles une des principales priorités. En 2012, être à l’écoute des femmes ne devrait pas être une idée révolutionnaire, c’est pourtant toujours le cas.

Lorsque je rends visite au service de planning familial d’un centre de santé dans un pays africain, je constate qu’on y propose toujours des préservatifs gratuits et en grande quantité. Les préservatifs sont d’une importance vitale, car ils permettent également de prévenir la diffusion de maladies sexuellement transmissibles telles que le sida. Mais il y a un problème: l’écrasante majorité des femmes africaines ne peut recourir au préservatif comme dispositif de contrôle des naissances, car leurs maris refusent de les utiliser.

Aider les femmes

A l’instar des femmes américaines, qui préfèrent la pilule contraceptive qu’elles n’ont pas besoin de négocier avec leur partenaire, les femmes africaines préfèrent les injections contraceptives au préservatif. Or, du fait de problèmes de stockage, d’approvisionnement et de politiques périmées, ces injections sont souvent indisponibles. Pour prendre un exemple, à Kaduna, ville de 1,5 million d’habitants du Nigeria, aucun centre de santé n’a été en mesure de proposer ces injections pendant 226 jours de l’année dernière.

Si tout ce qui vous intéresse, c’est d’assurer la disponibilité des moyens de contraception, il suffit de faire des stocks de préservatifs. Si votre but est d’aider les femmes à choisir librement leur avenir et celui de leur famille, il faut mettre la barre plus haut.

Aux Etats-Unis, et tout particulièrement cette année, chacune des occasions où les thèmes de la contraception et de l’action publique se rencontrent semble constituer une excuse pour s’affronter sur d’autres questions –l’avortement, ou la signification de la liberté religieuse, par exemple. 

Combien d'enfants et quand

Mais le fait est que 99% des femmes aux Etats-Unis ayant eu des relations sexuelles ont eu recours à la contraception à un moment de leur vie. Ce que me suggère notre comportement (sinon notre rhétorique), c’est que nous considérons les contraceptifs comme une chose importante. Ils l’ont été pour moi. J’ai pu aller à l’université, puis dans une école de commerce. J’ai pu avoir une carrière enrichissante chez Microsoft. Puis, Bill et moi avons pu décider combien d’enfants nous aurions (trois) et quand (à trois ans d’intervalle pour chacun), ce qui nous a permis selon moi d’être de meilleurs parents.
C’est pour les mêmes raisons, essentiellement, que les contraceptifs comptent pour les femmes des pays en voie de développement. Comme tous les parents, elles veulent des enfants en bonne santé et qui vont à l’école.
Les contraceptifs ne sont pas en eux-mêmes le moyen d’atteindre ces objectifs, bien sûr. Ils font partie d’une longue chaîne de facteurs qui inclut également une alimentation saine, des vaccins, de l’eau potable, des fermes productives et des écoles publiques de qualité. Ils constituent cependant le premier maillon de cette chaîne, et apportent aux parents de bien meilleures chances d’aller jusqu’au bout de celle-ci. Comme me le disait une jeune mère kényane, «je veux donner toutes les bonnes choses à mon enfant avant d’en avoir un autre».

Une vie meilleure

Il existe des statistiques convaincantes sur l’impact à long terme des contraceptifs. La principale étude, menée au Bangladesh depuis 35 ans, montre que les gens qui bénéficient de l’accès aux contraceptifs et à une information sur le sujet ont une meilleure qualité de vie, sur tous les plans ou presque, que ceux qui ont en sont dépourvus. Ils sont en meilleure santé, courent moins de risques de mourir en couche, ou de voir leurs enfants mourir. Ils ont un niveau d’éducation supérieur, et des enfants scolarisés plus longtemps. Ils sont aussi plus prospères: leur foyer possède un patrimoine plus grand, réparti notamment en terre, en bétail, et en épargne.

Sur un plan plus large, encore, les économistes soutiennent non sans arguments que ce qu’on a appelé le miracle économique d’Asie de l’est dans les années 1980 était en grande partie imputable à la décision de faire moins d’enfants chez les parents de la région.

Les contraceptifs libèrent un atout aussi inexploité que potentiellement déterminant dans le combat pour le développement: le rôle des femmes dans la prise de décision. Quand les femmes ont la possibilité de faire des choix concernant leur famille, elles ont tendance à opter exactement pour ce que recommandent les démographes, les économistes et les experts en développement. Elles investissent dans le capital humain à long terme de leurs familles. Non qu’elles se soucient du PNB. Elles se préoccupent du futur  de leurs enfants. Il se trouve que les deux s’accordent parfaitement.

Aujourd’hui, je dis aux gens que je veux contribuer à mettre les femmes au centre des efforts pour le développement et la santé publique –et que les contraceptifs sont l’un des meilleurs moyens d’y arriver. Lorsque les femmes auront le pouvoir d’atteindre leurs objectifs, elles feront par elles-mêmes l’essentiel du travail vers le développement.

Source : http://www.slate.fr/tribune/66113/melinda-gates-controle-naissance-contraception-femmes