mardi 12 mars 2013

Dans l'intimité des camps de Kaboul - Le regard de Giovanna Winckler-Roncoroni, psychologue à Action contre la Faim.

Kaboul, 1 800 mètres d’altitudes, maisons grises construites le long d’une large vallée. Les  hautes montagnes sont austères, enneigées. Il n’y a pas d’arbres. Rien n’arrête la poussière chaude de l’été. Ici il y a les couleurs du ciel changeant et de la terre grise et brune. Contrairement à leur terre, le peuple est généreux, habitué à accueillir les voyageurs de passage. Leur histoire est complexe et douloureuse, leurs origines variées, fruit des multiples invasions.

kaboul kis
Les Afghans, je les ai rencontrés là, dans les terrains vagues autour de Kaboul, sur ces espaces destinés à la construction d’immeubles pour la nouvelle classe émergeante. Les camps, appelés KIS (Kabul Informal Settlements), sont un regroupement illégal de populations déplacées venant de tout le pays ou chassés d‘Iran ou du Pakistan. Toute la richesse ethnique du pays est là : les Pachtous, les Cujis, les Jogis, les Tadjiks. Les langues sont multiples : le Dari, le Pachtou et une infinité de dialectes. Les habitants ont fui la pauvreté, la guerre, les Talibans, la sécheresse, une inondation, etc. Ils sont venus à pied ou entassés dans un bus, quelques affaires attrapées au vol. Les enfants, interloqués, regardant en arrière, leur village, leur maison, l’incertitude. 

Un homme me confie : « C’est difficile dans les camps. Il y a beaucoup de violence, nous n’avons pas d’avenir. La vie dans les camps n’est pas une vie, nous allons partout et nulle part ».
C’est dans les KIS qu’ACF a ouvert en août 2011 cinq centres de nutrition destinés aux femmes et aux enfants malnutris des KIS. Une recherche sur les pratiques de soins et de santé mentale m’a permis de rentrer sous leurs tentes, d’être admise dans l’intimité des femmes.

Des Afghans travaillant pour ACF m’ont accompagnée, aidée à franchir le pas sortir des stéréotypes aveuglants. J’ai vu la misère de près, à cause du froid intense, d’un cadre de vie où l’homme peut perdre son humanité, les enfants malnutris, le regard des enfants qui ont grandi trop vite, la fatigue qui marque les visages, les mains qui connaissent le travail depuis l’enfance…

Ce sont d’abord les femmes et les enfants que je rencontre. Les hommes sortent de la tente pour que les femmes puissent répondre aux questions, parler sans honte. Rassemblées pour se réchauffer, les femmes assises ou accroupies sur les tapis ou les nattes, de tout âge, allaitent ou serrent de petits enfants autour d’elles, trop calmes, les yeux dans le vide, la fatigue, la faim.

Les femmes sont contentes de parler, de raconter leur souvenirs, leur vie de jeune mariée, de me parler de leur mari, de leur attachement progressif, de rire et de pleurer face à leur destin. Petit à petit ce monde se dévoile, les femmes parlent sans gêne ; j’ose poser des questions plus personnelles. Le rôle de chacun  -homme, femme, enfant- s’éclaircit.
Découvrez la vie dans les KIS

Photo : © ACF, Sandra Calligaro – Afghanistan

Source : http://terraindactions.blog.youphil.com/archive/2013/03/11/dans-l-intimite-des-camps-de-kaboul.html

samedi 9 mars 2013

Réglementer le commerce des armes classiques : un impératif humanitaire

Un traité efficace sur le commerce des armes, qui protège les civils contre les conséquences dévastatrices des transferts d'armes mal réglementés, est aujourd’hui plus urgent que jamais.


Un des objectifs majeurs de ce traité doit être de réduire le coût humain de la disponibilité des armes, en énonçant des règles claires interdisant les transferts d’armes classiques et de leurs munitions lorsqu’il y a un risque manifeste qu’elles soient utilisées pour commettre des violations graves du droit international humanitaire.



Pourquoi un traité sur le commerce des armes est essentiel ?
La réponse à cette question avec Nathalie Weizmann, juriste du CICR, ICI

Source : http://cicr.blog.lemonde.fr/2013/03/09/video-reglementer-le-commerce-des-armes-classiques-un-imperatif-humanitaire/

vendredi 8 mars 2013

Oser entreprendre, se lancer. Y croire, tout simplement. Portfolio: 20 femmes qui osent

A l'occasion de la Journée internationale de la femme le 8 mars, Youphil.com publie la deuxième partie de son portfolio consacré à des femmes qui osent, partout dans le monde.

Qu'elles soient chefs d'entreprises sociales, cinéastes, sportives, journalistes, activistes et originaires des pays du Nord comme du Sud, ces femmes ont toutes en commun d'avoir osé, parfois à leurs risques et périls.


< REVENIR
AVANCER > 1 / 20


1.Haifaa al-Mansour


Huitième d'une famille de 12 enfants, Haifaa al-Mansour est la première Saoudienne à réaliser un film, dans son pays où les salles de cinéma n'existent pas. Elle raconte avoir dû diriger le tournage de son long-métrage Wadjda cachée dans une camionnette, tant il est mal vu qu’une femme mène une équipe d’hommes. Crédit: DR.






Nous les avons sélectionnées car elles portent des projets innovants qui tentent de réconcilier l'économie et le social, de défendre l’égalité des droits pour tous et dont l'action a un impact. Elles sont déjà reconnues dans leur secteur, mais parfois encore méconnues du grand public.

Cette liste n'est évidemment pas exhaustive, mais elle vise à mettre en avant des femmes qui ont touché la rédaction car elles brisent le plafond de verre et font avancer le monde.

> Retrouvez notre portfolio: 10 Françaises qui osent.

Source : http://www.youphil.com/fr/article/06273-portfolio-journee-internationale-femmes?ypcli=ano

jeudi 7 mars 2013

Syrie : deux ans de conflit et l'aide humanitaire dans l'impasse

L'ONG Médecins sans frontières (MSF) tire le signal d'alarme sur la situation en Syrie. Le conflit syrien qui a démarré voilà presque deux ans par une contestation politique du régime de Bachar Al-Assad et qui s'est militarisée au fil de la répression sanglante des forces de sécurité a fait au moins 70 000 morts, selon les estimations de l'ONU.
Les Nations Unies ont annoncé mercredi que le cap du million de réfugiés syriens ayant fui leur pays avait été atteint. Au moins 2,5 millions de Syriens ont également été déplacés à l'intérieur du pays.

Dans un rapport titré "Deux ans de conflit en Syrie - L'aide humanitaire dans l'impasse", MSF s'en prend à la fois au régime, qui cible les structures de santé et empêche l'envoi d'aide dans de vastes zones du pays, et à la pusillanimité des institutions internationales et des pays voisins. 

Les premières sont visées parce qu'elles fournissent des moyens insuffisants et persistent à conditionner une bonne partie de leur intervention à l'autorisation de Damas, excluant de facto la majorité de la population des zones rebelles de leur assistance, tandis que les capacités des structures d'aide en zone gouvernementale sont "saturées" et insuffisantes.

Les pays voisins sont fustigés parce qu'ils "ne sont pas prêts" à accorder aux ONG engagées dans des opérations transfrontalières "les facilités logistiques et administratives associées à une reconnaissance officielle", ralentissant leur action, alors même que lesdits pays ont reconnu la coalition nationale syrienne comme seule représentante du peuple syrien.

L'ONG lance un appel aux belligérants et à la communauté internationale : "la paralysie de la diplomatie (...) ne peut justifier l'impuissance de l'aide humanitaire. MSF demande aux parties au conflit de négocier un accord sur l'aide humanitaire pour faciliter son acheminement partout dans le pays, à partir des pays voisins ou à travers les lignes de front".

Les Nations unies ont annoncé mercredi que le cap du million de réfugiés syriens ayant fui leur pays avait été atteint. Ce chiffre ne comprenant que les réfugiés dûment enregistrés, leur nombre réel est sans doute bien supérieur. Au moins 2,5 millions de Syriens ont également été déplacés à l'intérieur du pays. Pour le Haut Commissaire aux réfugiés Antonio Guterres, "la Syrie est entrée dans la spirale d'une catastrophe absolue".

Source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/03/07/syrie-deux-ans-de-conflit-et-l-aide-humanitaire-bloquee_1843990_3218.html

mardi 5 mars 2013

Le boycott du vaccin anti-polio, pas qu'une affaire d'obscurantisme

Neuf Nigérians, tous impliqués dans des campagnes de vaccination contre la poliomyélite, ont récemment été assassinés à Kano, au nord du Nigeria. En quelques semaines, plusieurs Pakistanais (neuf en décembre, sept en janvier) eux aussi membres d'équipes de vaccination contre la poliomyélite ont également été tués.

Le boycott du vaccin anti-polio, pas qu'une affaire d'obscurantisme


Ces actes barbares ont attiré l'attention de nombreux médias, notamment internationaux, qui les ont souvent décrits comme le prolongement violent d'un même phénomène de rejet des campagnes de vaccination contre la poliomyélite, rejet qui serait alimenté par l'ignorance des populations et l'obscurantisme de certains pouvoirs locaux. Or c'est précisément parce que ces meurtres sont inacceptables et ne peuvent bénéficier d'aucune circonstance atténuante qu'il faut les distinguer d'un autre mouvement, celui de la résistance aux campagnes de vaccination contre la poliomyélite, en partie justifiée par des arguments rationnels exprimés par des représentants des pays concernés.

Méfiance et incompréhensions

Il y a matière à débat de santé publique, à un moment où l'Organisation mondiale de la Santé et ses partenaires, Bill Gates en tête, affichent une volonté toujours plus inflexible d'éradiquer le virus coûte que coûte. Avec le soutien de certaines autorités nationales, dont celles de Kano, ils ont promis de faire disparaître la polio d'ici trois ans, quitte à utiliser des méthodes coercitives. Au Pakistan, des représentants des Talibans au Nord-Waziristan avaient annoncé, en juin, que les campagnes contre la poliomyélite feraient désormais l'objet d'un boycott. Dans un tract distribué à cette occasion, ils avaient indiqué que sa suspension était conditionnée à l'arrêt de l'utilisation des drones américains, tout en dénonçant la démesure des moyens employés:

«Quel besoin d'une campagne menée par des bonnes âmes qui dépensent des millions de dollars, alors qu'à peine un enfant sur des milliers est contaminé par le virus, tandis que les mêmes bonnes âmes, avec l'aide de leur esclave pakistanais, nous ciblent avec leurs drones dont des centaines d'enfants innocents, de femmes et de vieillards sont la proie? (...). Le survol des drones dans la région a rendu presque tout le monde malade d'un point de vue psychologique.»

Cet appel au boycott intervient également dans un contexte où la vaccination au Pakistan a particulièrement mauvaise presse, depuis que la CIA a reconnu avoir mené une fausse campagne contre l'hépatite B dans sa chasse à Ben Laden. Les vaccinateurs auraient-ils été assassinés pour avoir violé cet embargo? Quelles que soient les responsabilités des Talibans dans ces meurtres et l'objectif politique qu'ils poursuivent, leur appel rejoint les préoccupations de certaines autorités traditionnelles. 

Ralliées au boycott, celles-ci exigent l'électrification de leur région:

«Nos enfants meurent écrasés par la chaleur ou sous les morsures de moustique. Qu'est-ce que ça change qu'ils meurent de la polio? Nous continuerons notre boycott jusqu'à ce que le gouvernement réponde à notre demande.»

Ce n'est pas la première fois que les efforts de vaccination contre la poliomyélite sont accusés de démesure par ceux-là mêmes censés en bénéficier. L'épisode du boycott des campagnes polio au Nigeria en 2003, sur lequel nous proposons un petit retour l'illustre particulièrement.A cette époque, alors que l'éradication du virus était déjà présentée comme «à portée de main», l'OMS décida de redoubler d'efforts au Nigeria, le pays abritant alors la moitié des cas enregistrés dans le monde. Mais les équipes de vaccination rencontrèrent une résistance grandissante, s'accompagnant parfois de violences physiques de la part de la population.

Résistances et intimidations

Des rumeurs sur la contamination des vaccins par des agents stérilisants enflèrent jusqu'à provoquer, en juillet 2003, un appel à la suspension de la vaccination par le conseil supérieur de la charia du nord Nigeria. Plusieurs Etats annoncèrent qu'ils ne participeraient pas à la campagne suivante avant qu'une enquête indépendante ait prouvé que le vaccin était sans danger. Cet épisode fit couler beaucoup d'encre, dans les médias ou dans des publications scientifiques. Le boycott y fut, à l'instar, du Pakistan présenté comme le reflet de l'ignorance d'une population croyant en l'existence d'un complot mondial contre les musulmans, dans un contexte marqué par la guerre en Irak et en Afghanistan et le raidissement religieux au Nord du pays, illustré par l'adoption de la sharia en 2000.< Les autorités furent quant à elles montrées du doigt comme des dirigeants sans scrupules ayant abusé de la crédulité des Nigérians et mis en péril «15 années de travail, et 3 milliards de dollars». Mais l'examen attentif des arguments opposés par certains représentants politico-religieux à la campagne impose, là-aussi, une autre lecture. Nous reproduisons ci-dessous, un extrait d'une discussion entre l'émir de Kazaure, dans l'Etat de Jigawa, et une représentante de l'OMS au Nigeria en 2003.

Dr Gloria (de l'OMS)
-Votre Altesse Royale, j'ai été envoyée au Nigeria pour couvrir les activités de l'OMS, et en particulier pour venir à bout de la poliomyélite. Dans mon pays, le Zimbabwe, la polio a été éliminée. L'OMS est déterminée à éradiquer la maladie dans son intégralité. Pour que l'Afrique soit exempte de poliomyélite, tous les pays africains doivent garantir l'éradication totale de la maladie par la vaccination. Au Zimbabwe, les gens ont d'abord refusé de faire vacciner leurs enfants à cause d'une croyance populaire selon laquelle les personnes vaccinées se transformaient en cochons. L'acte de vaccination ne leur avait pas été correctement expliqué. Je veux simplement dire, Votre Altesse, que nous ne pouvons pas mener à bien notre mission sans votre bénédiction et votre soutien, car vous êtes le père du peuple. Je vous remercie.

L'émir de Kazaure
- Je vous remercie vivement de votre visite. Je dois dire que vous avez parfaitement récité le manuel de sensibilisation de l'OMS et que vous êtes convaincante quant à votre mission dans notre pays. J'ai consulté ce guide moi-même et j'ai constaté sa qualité et son agressivité. En 2000 et 2001, quand nous avons fait part de nos peurs et préoccupations [quant à la possibilité que le vaccin contienne des substances qui pourraient rendre les populations stériles], on nous a répondu que les médicaments étaient certifiés par l'OMS et fabriqués dans le meilleur environnement de fabrication, et que le vaccin ne contenait aucun autre ingrédient. Nous voulions des preuves concrètes, mais nous n'avons eu que des paroles.

Pour répondre aux craintes de notre peuple, nous avons donc dû conduire nos propres investigations, en consultant des livres et en faisant des recherches sur Internet. Tous les livres et les documents que vous voyez ici concernent la polio. Alors Madame, vous pouvez constater que les appréhensions de mon peuple ne sont pas les mêmes que celles du Zimbabwe, où les gens pensaient que le vaccin allait transformer les gens en cochons. Nos craintes relèvent plutôt de questions médicales. Quand vous venez vacciner la population, vous nous dites que vous avez atteint 60, 70 ou 100 000 personnes, que tous les enfants de l'Etat sont vaccinés. Puis vous revenez le lendemain et nous dites qu'il y a eu un nouveau cas, et qu'il faut revacciner tout l'Etat. Qu'est-ce que cela traduit de l'efficacité du vaccin? Nous commençons à voir pourquoi certaines de ces questions n'ont pas de réponse. Aux Etats-Unis par exemple, il y a un système de surveillance des effets secondaires du vaccin, mais nous n'avons pas de tel système ici. Personne ne sait ce qui se passe, vous venez, vous vaccinez, vous collectez de l'argent et l'année suivante, vous revenez vacciner les mêmes enfants. Mais que cherchez-vous, que cherche l'OMS? Que cherche l'UNICEF? Pourquoi cet acharnement? Combien d'argent dépensé au Nigeria pour enrayer 109 cas? Combien d'enfants meurent de la rougeole, du paludisme, de diarrhées? (...)

Concertation et pédagogie

Dans cet entretien, l'émir de Kazaure exprimait le décalage entre les priorités sanitaires de sa population et celles imposées par les acteurs de la «Global Health». Décalage que l'OMS et ses partenaires ont depuis tenté de combler partiellement, en intégrant aux campagnes polio la distribution de moustiquaires et la vaccination contre la rougeole. Il questionnait également l'acharnement des partisans de l'éradication: ceux-ci le justifient aujourd'hui par des arguments d'ordre symbolique (l'éradication de la poliomyélite comme l'œuvre d'une génération), financier (la stratégie d'éradication du virus est un horizon motivant pour les bailleurs de fonds, et serait moins coûteuse in fine qu'une stratégie d'endiguement) et sécuritaire (la présence du virus quelque part est une menace pour le monde entier). Ces arguments, très éloignés des préoccupations de santé publique de nombreuses familles pakistanaises ou nigérianes, risquent de faire des «derniers mètres» de la route vers la disparition de la polio une distance infranchissable.

Quoi qu'il en soit, pour lutter efficacement contre la poliomyélite, il faudra veiller à ne pas assimiler les mobiles, réels ou supposés, des assassins de vaccinateurs aux griefs des populations résistantes à la vaccination. Et peut-être accepter de négocier avec elles des mesures de santé publique raisonnables au regard des contraintes qu'elles imposent et du bénéfice qu'elles peuvent en retirer.

Source : http://www.msf-crash.org/sur-le-vif/2013/02/27/7216/le-boycott-du-vaccin-anti-polio-pas-quune-affaire-dobscurantisme/