lundi 26 novembre 2012

En Auvergne, l'arrivée de Médecins du monde ne fait pas l'unanimité

Quand Médecins du monde a officiellement annoncé, à la mi-octobre, l'ouverture prochaine d'une mission pour le monde rural en Auvergne, la première du genre en France, nombre d'habitants sont tombés des nues. "On a l'impression d'être vus comme des arriérés, comme si on était au bout du monde !", s'exclame Jean-Pierre Lamartine, retraité de l'éducation nationale et habitant de Menat, petit village du Puy-de-Dôme d'un millier d'habitants. "Les gens n'ont pas compris, ça n'a pas été expliqué", affirme Jean-Pierre Pradier, conseiller municipal dans l'opposition (PS) à Saint-Eloy-les-Mines.
A Menat, le médecin généraliste du village n'a pas été remplacé après son départ en retraite. Depuis, un praticien de Saint-Eloy-les-Mines y officie deux demi-journées par semaine.


C'est dans cette ville de près de 4 000 habitants, située entre Montluçon et Clermont-Ferrand, que Médecins du monde ouvrira en janvier un centre pour les Combrailles, une région à cheval entre l'Allier, la Creuse et le Puy-de-Dôme. Pourquoi ici ? "Il s'agit d'un ancien bassin minier en difficulté, avec un chômage important, de nombreuses personnes âgées et des agriculteurs à la situation financière difficile", justifie Jean-François Corty, directeur des missions France de l'ONG.
Un constat appuyé par une "étude sur l'organisation de l'offre de soin en pays de Combrailles" réalisée en 2010 pour le compte du Syndicat mixte pour l'aménagement et le développement : "De l'avis des professionnels de santé et des travailleurs sociaux, il existe une petite part de population qui renonce à des soins mal remboursés (prothèses dentaires, auditives, etc.) et qui peut renoncer à certaines consultations de spécialistes à cause du coût des transports." 

"TANT QUE ÇA NE FAIT PAS MAL, J'ATTENDS"

Michel, 53 ans, rencontre ces problèmes en permanence. Cet ancien documentariste et professeur de théâtre vivant à Youx, à 5 km de Saint-Eloy-les-Mines, souffre d'une maladie qui l'empêche de travailler depuis quatre ans. "Tant que ça ne fait pas mal, j'attends avant de prendre un rendez-vous", lâche-t-il. Sa pension d'invalidité de 650 euros mensuels l'oblige à compter la moindre dépense. "Une fois les charges fixes déduites, il me reste 180 euros pour les courses et l'essence, alors que je fais un aller-retour à Montluçon tous les quinze jours pour des rendez-vous médicaux, explique-t-il. C'est très difficile pour le dentiste ou l'ophtalmologue, où il faut avancer l'argent. Pour mes lunettes, j'ai beau prendre les montures les moins chères, 90 euros sur mon budget, ça pèse..."
Outre un centre fixe situé à Saint-Eloy-les-Mines, Médecins du monde prévoit également un dispositif mobile qui parcourra les routes des Combrailles à la rencontre des personnes qui hésitent ou ne peuvent plus se déplacer, les frais de transport n'étant pas toujours pris en charge. "Pour aller faire des analyses à Montluçon, depuis deux ans je dois payer les 140 euros de taxi de ma poche !", s'insurge Georges Vivier, un ancien mineur de 91 ans, habitant Menat. Depuis la rentrée, le régime de santé des anciens mineurs a toutefois fait volte-face et reprend désormais en charge ces frais de transport.

"LUTTER CONTRE LA PRÉCARITÉ ET LA DIFFICULTÉ D'ACCÈS AUX SOINS"
Vue de Saint-Eloy-les-Mines, dans le Puy-de-Dôme.
Pour autant, l'arrivée de Médecins du monde ne réglera pas tout, d'autant plus qu'une confusion a entouré l'annonce de l'ONG, avec l'évocation de l'ouverture d'un "cabinet médical". "Il n'y en a pas besoin, nous ne manquons pas de cabinets médicaux !", tonne la maire UMP de Saint-Eloy-les-Mines, Marie-Thérèse Sikora. Mais Médecins du monde assure ne pas vouloir se "substituer aux médecins présents sur place", selon Jean-François Corty. "Notre motivation première n'est pas de lutter contre le désert médical, mais contre la précarité et la difficulté d'accès aux soins, avec un travailleur social qui aidera les personnes dans leurs démarches." Par exemple, en les informant, le cas échéant, de la possibilité de bénéficier d'une aide à la complémentaire. Ce travail se fera en liaison constante avec les associations locales.

Cette mise au point a rassuré les professionnels de santé locaux, qui avaient dénoncé une "vision très 'parisienne'" après l'annonce de Médecins du monde, en octobre. "Nous avons rencontré des représentants [de l'ONG] depuis, raconte le docteur Michel Moraillon, installé à Saint-Eloy-les-Mines depuis 1976. Ils étaient désolés de tout ce remue-ménage. Ils nous ont expliqué que leur travail sera orienté sur le social. Et c'est vrai qu'il y en a besoin, des gens hésitent avant d'aller se faire soigner les dents, de prendre des lunettes. Plus globalement, il y a une injustice entre les cotisants urbains de la sécurité sociale, qui ont beaucoup plus de moyens de transports, et ceux en milieu rural qui cotisent pareil mais qui payent davantage, avec moins de prise en charge des transports."

0,86 GÉNÉRALISTE POUR 1 000 HABITANTS DANS LES COMBRAILLES

La situation est difficile dans les Combrailles, avec une densité de 0,86 médecin généraliste pour 1 000 habitants contre 1,14 pour le Puy-de-Dôme et 1,07 pour l'Auvergne. "Cette densité, déjà en-dessous de la moyenne, ne peut qu'être aggravée dans les années qui viennent, écrivaient en 2010 les consultants. En effet, 21 d'entre eux ont plus de 55 ans (...). Ceci signifie qu'à population constante et sans succession médicale assurée, cette densité passera à 0,73 médecin pour 1 000 habitants d'ici à cinq ans et à 0,41 d'ici à dix ans."

"Il faut utiliser des ruses pour se faire soigner !, déplore Danielle Guérard, retraitée agricole de 65 ans à Menat. On passe par des connaissances pour prendre des rendez-vous, ça peut aider de bien connaître son médecin..." Dans son village, le médecin généraliste du village n'a pas été remplacé après son départ en retraite. Depuis, un praticien de Saint-Eloy-les-Mines y officie deux demi-journées par semaine.

En creux de cette question apparaît celle de la difficulté, par les professionnels de santé en milieu rural, à trouver un remplaçant. "C'est un véritable projet de venir travailler en campagne, témoigne Monique Pallon, pharmacienne de Menat. C'est un rythme moins stressant, les patients sont fidèles, dévoués... et la qualité de vie est meilleure !" Mais les médecins, généralistes ou spécialistes, sont peu nombreux à tenter l'aventure.

Au-delà de la question de la "concurrence" qu'apporterait la présence de Médecins du monde, l'arrivée de cette ONG connue essentiellement pour ses actions à l'international, dans des pays très pauvres ou en guerre, a considérablement "vexé les gens", selon Marie-Thérèse Sikora. Un constat qui n'étonne pas Jean-François Corty. "Notre arrivée n'est pas toujours bien vue, c'est pareil à l'international, assure le directeur des missions France de Médecins du monde. Certaines personnes craignent que l'image de la ville soit altérée."

Mais l'ONG tient aussi à opérer une "démystification" à propos de ses missions. Elle gère une centaine de centres en France, mais ceux-ci accueillent jusqu'à maintenant très majoritairement (à plus de 90 %) des migrants d'origine étrangère. "Il ne faut pas opposer les pauvres avec ou sans papiers", justifie M. Corty à ceux qui s'étonnent de ce revirement. Grâce à l'expérience dans les Combrailles, Médecins du monde entend "devenir force de proposition dans un ou deux ans" sur le sujet des "nouveaux pauvres".

Source : http://www.lemonde.fr/sante/article/2012/11/23/en-auvergne-l-arrivee-de-medecins-du-monde-ne-fait-pas-l-unanimite_1795397_1651302.html