vendredi 2 novembre 2012

Des ONG en proie aux mutations du secteur de l’aide au développement

Une étude récente de l’ODI (Overseas Developement Institute) propose une vision prospective du secteur de l’aide au développement en 2025[1]. Le visage de la pauvreté aura alors profondément changé :
  • Elle sera concentrée essentiellement dans des pays touchés par des conflits ou fragiles (c’est-à-dire où l’État n’est pas en capacité de répondre aux attentes des populations, voire n’est pas considéré comme leur représentant légitime, selon la définition de l’OCDE),
  • Elle aura diminué de deux-tiers en nombre absolu,
  • Et sera concentrée en majorité en Afrique.

D’un côté, les pays fragiles ont des perspectives de croissance économiques peu encourageantes, doublées d’un taux de croissance démographique excédant les 3%. D’un autre côté, alors que certains pays d’Asie, tels que l’Inde, l’Indonésie ou le Vietnam, font face à des poches de pauvreté encore nombreuses aujourd’hui, il semblerait que nous assistions à une transition vers une réduction majeure de la pauvreté dans ces pays (hypothèse basée sur l’évolution favorable des indicateurs socio-économiques des pays). 

Par ailleurs, bien que les pays fragiles et touchés par les conflits ne se situent pas tous en Afrique, il est à noter que l’évolution du nombre de personnes pauvres (vivant avec moins de 2$ par jour) est alarmant sur ce continent : en 1990 environ 15% des pauvres y vivaient, en 2012 ce sont plus de 50%, et en 2025 ce seront probablement plus de 80% ! Cela, alors que le niveau actuel de l’aide au développement globale destinée à l’Afrique atteint le même niveau qu’en 1990 - en montant d’aide par personne pauvre…

Parallèlement à cette évolution des termes de la pauvreté, le secteur de l’aide au développement connaît des mutations structurelles sans précédent.

Des coopérations Sud-Sud qui questionnent les équilibres établis

La coopération « Sud-Sud »  en est un premier aspect. Invoquée lors de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide adoptée le 2 mars 2005 avec l’affirmation du principe « d’ownership », elle implique notamment que les pays dits en développement définissent par eux-mêmes leurs stratégies de lutte contre la pauvreté. Réaffirmée en 2008 lors du troisième Forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide (qui a vu l’adoption de l’Accra Agenda for Action), elle est rendue possible par la structuration de la société civile et l’intégration régionale croissante dans les pays du Sud, contribuant ainsi à l’appropriation des enjeux de développement par les pays directement concernés.

L’implication croissante de nouveaux bailleurs dits émergents, renforce la place de la coopération Sud-Sud sur la scène internationale, comme le montre une étude de 2009 menée par le groupe URD. Certes les pays tels que la Chine ou les Émirats Arabes Unis ont été historiquement engagés dans des actions de développement, mais ces actions étaient politiquement ou religieusement marquées et se concentraient dans les pays limitrophes. Cette situation connaît un certain bouleversement avec l’augmentation substantielle des montants d’aide alloués et la création de structures étatiques pour l’aide humanitaire au Brésil ou dans les pays du Golfe comme le Qatar, ce qui laisse entrevoir leur volonté de s’intégrer dans le système international d’aide au développement. 

Des projections chiffrées viennent étayer ces arguments: aujourd’hui 2/3 des accords de libre-échange ont lieu entre des pays du Sud, en 2025 la Chine sera la première économie mondiale, et en 2050 plus de 70 % des exports de la Chine et 80% des exports de l’Inde iront vers des pays du Sud. Il est ici sous-entendu que l’aide au développement peut être un levier vers le renforcement des relations commerciales ; les pratiques actuelles laissant entrevoir une tendance au mix entre commerce, aide et investissements dans les relations Sud-Sud. 

Des challengers plus efficaces ?

L’étude de l’ODI fait également émerger des vecteurs de disruption future dans le secteur de l’aide au développement, telles que les entreprises sociales et la philanthropie stratégique, « concurrents » des agences d’aide bilatérales et des ONG, entre autres.
D’une part, le pourcentage de l’aide publique arrivant réellement aux populations destinataires via les canaux traditionnels d’aide au développement est relativement faible (dû aux coûts d’études, aux coûts administratifs, à la corruption…), alors que l’aide « privée » tendrait à être plus efficace (avec des frais généraux plutôt autour de 10%). D’autre part :
  • les montants de la philanthropie dans le monde ont eu des taux de croissance à deux chiffres ces dernières années, et les objectifs des acteurs de la philanthropie privée convergent largement avec les OMD (NB : philanthropie étant entendue ici comme philanthropie individuelle et mécénat des entreprises)
  • les projets RSE intégrés au cœur des activités des entreprises ainsi que les offres à destination des populations à la « base de la pyramide » sont de plus en plus nombreux et représentent un marché considérable
  • et de plus en plus d’initiatives hybrides voient le jour : entreprises sociales, « impact investing », partenariats ONG-entreprises, etc.
Vers une redéfinition du rôle des ONG ?

Les acteurs du Nord se trouvent donc confrontés à une remise en cause de l’équilibre qui prévalait jusqu’ici, pouvant provoquer un basculement tant des rapports de force internationaux que des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’aide au développement. 

Cela soulève par conséquent bien des challenges en termes de redéfinition des périmètres et objectifs d’action, notamment pour les ONG. Dans ce contexte leur rôle de mise en œuvre de programmes opérationnels glisse en effet vers une double fonction. D’une part en tant que médiateur, ou point focal dans le cadre d’initiatives s’inscrivant dans une logique de convergence multisectorielle et pluri-acteurs. D’autre part en tant qu’experts reconnus de façon croissante par les acteurs du secteur privé. Ces mutations encouragent les ONG à réorienter leurs actions pour s’assurer de maximiser leur impact, mais également à développer de nouvelles approches et de nouvelles collaborations afin de partager réflexions et travail de terrain.
[1] Homi Kharas, Senior Fellow au Brookings Institution, et Andrew Rogerson, Senior Research Associate à ODI, Overseas Development Institute, “Horizon 2025: creative destruction in the aid industry”, Juillet 2012


Source : http://ong-entreprises.blog.youphil.com/archive/2012/10/29/des-ong-en-proie-aux-mutations-du-secteur-de-l-aide-au-devel.html