vendredi 15 février 2013

Mark Zuckerberg, le stratège philanthrope

zuckerberg1.jpgMark Zuckerberg est le deuxième homme le plus généreux d'Amérique. Selon le classement de The Chronicle of Philanthropy, publié mardi, seul Warren Buffet a donné plus d'argent en 2012 à de bonnes œuvres. Avec ses 500 millions de dollars de dons, le fondateur de Facebook arrive en seconde position. Loin devant John Arnold (423 millions) et Paul Allen, co-fondateur de Microsoft (309 millions).

Qui aurait cru, il y a seulement cinq ans, qu'un geek vingtenaire allait concurrencer les plus vieux grands noms de la philanthropie ? Après plusieurs coups d'éclat, Mark Zuckerberg s'est imposé comme une figure incontournable de la générosité, symbole d'une nouvelle génération de donateurs, bien décidée à bousculer le monde de la philanthropie. Ce qui n'a pas manqué de provoquer la polémique.


100M$, Oprah & standing ovation

Tout commence en 2010. Facebook compte 550 millions d'utilisateurs, Mark Zuckerberg a 26 ans, sa fortune est estimée à 6,9 milliards de dollars. Le 24 septembre, le jeune homme annonce dans l'émission ultra populaire d'Oprah Winfrey un don de 100 millions de dollars aux écoles publiques de Newark, une ville du New Jersey. Standing ovation. Oprah elle-même se lève pour applaudir la déclaration. Zuckerberg, qui n'avait jusqu'ici jamais manifesté, publiquement, le moindre intérêt pour les grandes causes, devient en quelques minutes le plus grand donateur de sa génération.

Peu réputé pour son aisance devant les caméras, il argumente sa décision : "Tous les enfants méritent une bonne éducation. J'ai eu de nombreuses opportunités dans ma vie, et une grande partie d'entre elles vient du fait que j'ai fréquenté de très bonnes écoles. Je veux faire mon possible pour que tout le monde ait accès à ces opportunités".

Coup de com parfait

Tout y est : la belle action, Oprah, les applaudissements, le discours bien huilé... et le timing. Surtout le timing. Cette annonce tombe :

  • 1 semaine avant la sortie du film The Social Network. Et quelques heures seulement avant la première du film au New York Film Festival. Ce long métrage dépeint Zuckerberg comme un ado socialement attardé, obsédé par la réussite de son entreprise, au point de trahir ses amis. Qu'il dépeigne ou non la vérité, peu importe. Mark Zuckerberg le sait déjà : ce film influencera durablement l'image que le public se fera de lui.
  • Le même jour que le classement Forbes des Américains les plus riches, qui le place en 35ème position
  • Au moment où les critiques se font de plus en plus dures à l'égard de Facebook, notamment concernant sa gestion des données privées. Si jusqu'ici, le réseau social était considéré comme un sympathique gadget, sa puissance commence à inquiéter. D'autant plus que Facebook joue avec le feu : les conditions d'utilisations changent au gré du vent, scandalisent parfois, au point d'être retirées sous la pression des internautes.
Les détracteurs de Mark Zuckerberg voient donc dans ce don une stratégie de communication visant uniquement à améliorer l'image du jeune homme et de son entreprise. Selon eux, Marc Zuckerberg n'aurait rien d'un philanthrope, mais tout d'un génial businessman se montrant prêt à tout, encore une fois, pour voir son entreprise réussir.

Des e-mails dévoilés

Et des documents, récemment rendus publics, viennent apporter de l'eau à leur moulin. Le mois dernier, la justice américaine a ordonné la publication des échanges d'e-mails ayant mené à ce don. Soit 96 pages de discussions entre plusieurs protagonistes, parmi lesquels Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook, le maire de Newark Cory Booker ou encore Bill Gates. Etrangement, un seul et unique mail est signé de Mark Zuckerberg. Ces échanges dévoilent les coulisses de ce don, bien plus réfléchi qu'il n'y paraît. On y découvre Sheryl Sandberg, DG de Facebook, en chef d'orchestre de l'opération. Il s'agissait pourtant d'un don personnel de Mark Zuckerberg, qui, officiellement, n'avait absolument rien à voir avec son entreprise...

La stratégie de communication ressort très clairement dans certains e-mails. On le voit notamment dans cet extrait, signé de la communicante Victoria Cassady, qui fait le bilan après l'annonce du don :

  • "La couverture médiatique se focalise désormais principalement sur l'épisode Oprah, avec une mise en lumière des déclarations de Mark sur le film et sur l'éducation. Ils décrivent aussi sa vie modeste et continuent à souligner le fait qu'il souhaitait, à l'origine, que ce don soit anonyme... En général, la couverture et le ton sont globalement positifs – ce qui prouve que bien que ce don puisse être perçu comme une tentative de redorer le blason de Mark à cause du film, cela n'a pas beaucoup d'importance" Victoria Cassady – 24 septembre 2010.
Un point de vue très bien résumé par la rédactrice en chef du Huffington Post, en 2010 : "Je me fiche éperdument de savoir pourquoi Mark Zuckerberg donne 100 millions de dollars issus de sa fortune personnelle pour faire la différence dans la vie des enfants de Newark. Ce qui m'importe bien plus, c'est que ce soit fait".

La moitié de sa fortune

Et Mark Zuckerberg va plus loin, pour prouver à ses détracteurs que sa générosité ne se limite pas à une opération de com ponctuelle. Quelques semaines plus tard, en décembre 2010, il devient le plus jeune signataire du Giving Pledge, une initiative lancée par Bill Gates et Warren Buffet à destination des milliardaires. Les signataires s'engagent à faire don de la moitié de leur fortune, de leur vivant ou au moment de leur mort. En signant cette promesse, Mark Zuckerberg s'inscrit dans une philanthropie de long terme et affaiblit les arguments de ses adversaires.

Puis... Plus rien. Plus rien pendant deux ans. Jusqu'au 19 décembre 2012, où il annonce sur sa page Facebook un don de 500 millions de dollars d'actions Facebook à la Silicon Valley Community Foundation, pour financer l'éducation et la santé. A lui seul, ce don représente plus d'argent que tous ceux reçus par la fondation l'année précédente. Et place immédiatement Zuckerberg en deuxième position des plus grands donateurs de l'année. Et en première position des donateurs de la Silicon Valley, devançant Paul Allen (Microsoft), Sergey Brin (Google) et Carl Icahn (Yahoo!).

Les nouveaux donateurs de la Silicon Valley

Une fois encore, le jeune entrepreneur fait la Une des journaux pour sa générosité, faisant oublier au passage les résultats en bourse désastreux qui ont marqué l'année 2012 de Facebook. Mark Zuckerberg s'impose aujourd'hui, dans l'esprit du grand public et de ses pairs, comme l'un des plus importants donateurs des Etats-Unis. Et comme le chef de file d'une nouvelle génération de donateurs.

Car avant lui, la philanthropie n'intéressait pas outre mesure la Silicon Valley. Le monde des "charities" regardait, les yeux gloutons, ces fortunes immenses se constituer en quelques mois, mais ne récoltait pas une grande part du gâteau. Malgré le modèle Bill Gates, peu de leaders d'entreprises tech se sont illustrés dans la philanthropie. Steve Jobs, par exemple, n'a jamais fait état du moindre don – en tout cas publiquement. En 2011, la liste des 20 plus grands donateurs américains comptait seulement deux personnalités issues des nouvelles technologies, Paul Allen et Pierre Omidyar (eBay). Mais la jeune garde pourrait changer la donne.

Pourquoi attendre ?

Jusqu'ici, les grands philanthropes étaient plutôt âgés. D'abord parce qu'il leur fallait un certain temps pour se créer une telle fortune. Ensuite parce qu'il était plutôt commun de profiter jeune de ses richesses, avant de "rendre à la société" cet argent. Mais les profils à la Mark Zuckerberg se multiplient. Dans la Silicon Valley, pas besoin d'avoir quarante ans pour accumuler des millions. Ni pour les donner. "Pourquoi attendre, alors qu'il y a tant de choses à faire ?", a déclaré Mark Zuckerberg au moment de signer le Giving Pledge. "Pour toute cette génération de jeunes qui se sont enrichis grâce au succès de leurs entreprises, cela représente une énorme opportunité de donner cette argent plus tôt dans nos vies, et de voir l'impact de ces efforts".

Et l'impact n'est pas un vain mot pour ces nouveaux donateurs. "Ils ne veulent plus seulement signer un chèque et dire 'On se revoit l'an prochain'", explique Daniel Lurie, président de la Tipping Point Community, une organisation de lutte contre la pauvreté. "Il veulent savoir où va leur argent et quel est leur impact. Ils veulent des résultats."

"Un héros pour les jeunes entrepreneurs"

Bien décidés à mettre un coup de pied à la fourmilière, ils réinventent la notion même de philanthropie. Donner de l'argent, c'est bien, mais cela ne suffit pas. Pourquoi ne pas utiliser leurs propres entreprises pour faire progresser le monde ? Mark Zuckerberg a par exemple créé un outil pour donner sur Facebook, un autre pour encourager le don d'organes et un système pour prévenir les suicides des adolescents.

Pour Warren Buffet, cité par Forbes, "dans vingt ans, Mark Zuckerberg sera un héros pour les jeunes entrepreneurs", aussi inspirant que Rockefeller a pu l'être "quand j'étais adolescent et que je lisais ses aventures". Les paris sont ouverts.

Source : http://techethique.blog.youphil.com/archive/2013/02/12/zuckerberg-le-stratege-philanthrope.html


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