mercredi 10 octobre 2012

La France silencieuse face au massacre des humanitaires au Sri Lanka ?


Par Denis Metzger, président d'Action contre la faim (ACF) international

Six ans déjà que nos dix-sept collègues ont été alignés, mis à genoux et fusillés, le 4 août 2006, dans l'enceinte des bureaux d'Action contre la faim (ACF), à Muttur au Sri Lanka. Nos collègues consacraient leur énergie pour venir au secours des populations victimes du tsunami. Au même moment, plus de 250 civils étaient tués, pris au piège de la guerre civile. Cet assassinat est l'un des crimes plus dramatiques commis contre des humanitaires ; c'est aussi l'un des actes les plus graves qui existent : le crime de guerre. Depuis 2006, ACF se bat aux cotés des familles pour la vérité et a activement participé aux trois procédures judiciaires qui ont été ouvertes suite au drame. Malgré cela six ans plus tard, justice n'a pas été rendue.
Pourtant, en cette période de réconciliation nationale, on s'attendrait à ce que la justice reprenne une place centrale. Mais c'est l'impunité qui règne au Sri Lanka. En témoignent les obstructions systématiques, les interférences du politique dans le judiciaire, le manque de transparence et d'indépendance des institutions et les erreurs flagrantes des autorités sri lankaises, qui ont été les traits caractéristiques de ces trois enquêtes. Au-delà de la tragédie humaine, c'est l'ensemble de la communauté humanitaire qui a été touché. Quand l'indépendance et la neutralité des acteurs humanitaires n'est pas assuré, l'ensemble des actions de secours est menacé. Les populations civiles, premières victimes des conflits, sont doublement touchées par la violation de ces principes humanitaires fondamentaux.
Action contre la Faim est engagée dans le combat pour le respect de ces principes. Nous n'avons eu de cesse d'alerter les autorités, notamment françaises, des manquements des autorités sri-lankaises. Ces faits étaient déjà connus de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes de 2007 à 2010. En 2009, en réponse à la tribune de Denis Metzger, M. Kouchner déclarait dans une tribune [Le Monde, 27 août 2009], "J'ai espoir que les conclusions du rapport d'enquête déboucheront sur un procès [...]. Si tel n'était pas le cas, la France, explorera, avec ses partenaires internationaux, la possibilité d'une commission d'enquête internationale dédiée" . Où en est-on aujourd'hui ?

NE PAS TOLÉRER L'IMPUNITÉ

Le 1er novembre prochain, le Conseil des Droits de l'Homme, dans le cadre de l'examen périodique universel, passera en revue les pratiques du Sri Lanka en matière de droits de l'homme. Nous appelons à ce que les Etats membres, dont la France, exigent des mesures concrètes contre l'impunité durant cet examen, et en particulier appuient notre demande d'ouverture d'une enquête internationale et indépendante sur le massacre de Muttur. Le ministre des Affaires Etrangères et Européennes, M. Laurent Fabius, a affirmé à de nombreuses reprises son soutien à la commission d'enquête internationale du Conseil des Droits de l'Homme sur les crimes commis en Syrie, un autre pays en proie à un conflit fratricide. Tous les responsables de crimes doivent un jour répondre de leurs actes et nous déplorons que la France ne soit pas aussi engagée pour lutter contre l'impunité au Sri Lanka.

Comme M. Fabius l'a déclaré en juillet " la réconciliation et la paix ont toujours besoin que justice soit faite " . ACF souhaite que ces mots ne demeurent pas pure rhétorique et que les familles de nos dix-sept collègues puissent un jour trouver la paix. Il est facile de brandir les droits de l'homme sans les faire appliquer véritablement. Quels que soient les intérêts politiques ou économiques en jeu, nous avons aujourd'hui l'occasion unique de pouvoir mesurer concrètement la volonté du Sri Lanka de faire régner la justice. La France, pays des droits de l'homme, doit saisir cette opportunité unique de montrer qu'elle ne tolère pas l'impunité, fidèle à ses engagements universels en faveur des droits humains. Son silence résonnerait comme une caution de l'impunité.

Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/09/la-france-silencieuse-face-au-massacre-des-humanitaires-au-sri-lanka_1772010_3232.html